Pages

vendredi 4 octobre 2013

Un journal



La longue période de temps beau et chaud qui s’est prolongé presque sans interruption pendant tout le mois de septembre semble s’achever.
Nous sommes montés au lac mercredi. Beau ciel secoué. L’autan qui s’est levé. Le mugissement du vent dans les pins qui bordent le lac. L’impression presque d’être à la mer. Presque personne sur la plage durant la petite heure où nous sommes restés, quelques promeneurs en bordure, deux planchistes profitant du vent. Le bruit et le souffle soûlent un peu. Pas question de lire. Juste regarder, ressentir, sentir encore la force du soleil sur la peau mais le vent atténue sérieusement la sensation de chaleur. Je suis seul à me baigner, D. renonce. Ça secoue un peu, ça tire à hue et à dia, je me prends dans le nez les petites vaguelettes pointues qui courent sur le lac, mais comme toujours il y a cette impression si apaisante que procure au corps l’immersion dans l’eau et la nage, le paysage qui danse devant mes yeux, la montagne et la forêt, les nuages en mouvement, un couple de canards au vol bas qui passe à deux mètres devant moi, tout cela ressenti avec d’autant plus de force que c’est sûrement une des dernières, voire la dernière baignade de l’année.

Hier c’était le vent d’autan en tempête. Pendant la nuit ça a secoué sérieusement, ce que nous ressentons d’autant plus que les chambres, situés plein est, prennent le vent de plein fouet. Je me suis réveillé à plusieurs reprises, j’ai dû mettre des tampons d’oreille et j’ai eu bien du mal à me rendormir. Mais il y aussi une certaine jouissance à se sentir à l’abri dans la maison bien close, toute secouée de vent. Sorties minimales hier et aujourd'hui. Cet après-midi le vent a lâché prise et du coup, la pluie qui jusque là ne s’était manifestée que par de brèves mais violentes averses orageuses semble s’installer.

Du coup je me suis plongé très longuement au cours de ces deux jours dans la lecture du journal d’Henri-Jacques Dupuy. C’est un journal fleuve tenu entre 1938 et 1976 par un journaliste, musicien et poète aux talents multiples mais à la vie passablement compliquée et perturbée. Enfin certaines parties d’un journal fleuve : ont été retrouvés et transcrits 32 cahiers de 50 à 150 pages, sur plus de 120 qui ont été écrits ! Cet ensemble a été déposé à l’APA par la fille d’Henri-Jacques avec quantité d’éléments annexes et nous préparons une présentation publique de ce journal pour le 30 novembre à Paris. Je ferai des lectures d’extraits et donc je navigue dans l’océan de ces pages, à la fois pour mieux saisir le personnage et pour repérer des « bonnes feuilles » à lire au public. Plaisir de la lecture, comme dans tout journal, plaisir à découvrir quelqu’un dans sa vérité la moins apprêtée, avec ses côtés attachants et avec ses névroses, dans ses évolutions entre jeunesse, maturité et vieillesse, dans ses obsessions aussi et ses répétitivités, inévitables dans tout journal (alors il faut savoir lire de façon un peu diagonale). Au-delà de la personne même de Dupuy il y a aussi quantité d’éléments documentaires intéressants sur la vie en Algérie pendant la guerre, sur le militantisme au PC après la libération, sur le climat culturel de l’après-guerre à Paris, sur des amis ou relations de Dupuy, spécialement Soupault (sur lequel il a écrit un livre) ou Char. 

J’avais déjà lu quelques cahiers à petites doses à tel moment ou tel autre depuis que je sais que je vais faire cette intervention. Mais une plongée un peu intensive comme je l’ai fait là est nécessaire aussi pour vraiment entrer dans le personnage. En même temps point trop n’en faut et là je vais m’en abstraire pour y revenir ensuite à nouveau à plus petites doses. Il y a quelque chose d’assez étouffant et déprimant à la lecture de longs journaux intimes, tenus sur le long terme. Forcément on y assiste au vieillissement de la personne, au ressenti du temps passé et qui ne revient plus, à l’inévitable dégradation. Et c’est ici spécialement sensible chez quelqu’un qui n’est jamais parvenu à sortir de ses difficultés et dont la vie est de plus en plus pathétique à mesure qu’il vieillit. Et bien sûr tout ça interpelle forcément toute personne qui tient journal et qui ne peut manquer de s’interroger sur le sens de tant d’heures passées à consigner sa vie. Avec en filigrane la question de comment et quand finir. Peur de tomber dans le pathétique ou alors dans la mise en scène trop écrite, la belle sortie. Je suis toujours un peu mal à l’aise, face à des journaux des derniers jours, comme chez Green ou Gide, par exemple, les espérances religieuses ou le stoïcisme dont ils se teintent me paraissent forcément un peu  jouées. Tout cela fait écho aussi aux réflexions et exemples intéressants donnés par Philippe Lejeune sur la fin des journaux dans son dernier bouquin Autogenèses que j’ai terminé il y a peu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire