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mercredi 1 mai 2013

Le mort, le demi-mort et le vif...



Mon père a récemment séjourné chez nous pendant une quinzaine de jours. Cela faisait plus d’un an qu’il n’était pas venu. Il avait vu déjà la maison rénovée, une fois les gros travaux effectués, mais il ne connaissait pas encore le lieu réinvesti par nous, où nos propres meubles, déménagés en novembre, viennent compléter ce qui restait de l’époque de mes grands-parents, ajoutant ainsi une couche de vie plus contemporaine aux strates anciennes de la maison. Il est content de savoir que cette maison que, pendant un temps, il avait été question de vendre, parce que trop grande, trop couteuse, nécessitant trop de travaux, trop éloignée des lieux où nous vivions, soit finalement réinvestie par nous, liant ainsi notre génération à celle de ses propres parents. Lui-même, malgré l’accent rocailleux qu’il garde toujours, est devenu plus parisien qu’un parisien et n’a jamais envisagé de quitter la capitale. Cette maison n’est pas pour lui une maison d’enfance, mes grands-parents l’avaient acquise au moment de leur retraite, alors que lui-même travaillait et vivait depuis vingt ans à Paris. Mais il est très heureux de pouvoir venir y faire des séjours maintenant qu’elle est redevenue confortable et habitée, de retrouver à cette occasion dans la région environnante les lieux et les paysages, voire certaines personnes, de son enfance et de son adolescence.

Mais les personnes, hélas, se font rares. Nous avons tenté de rendre visite à sa cousine castraise, avec qui il avait partagé beaucoup de choses enfant, qu’il avait vue régulièrement ensuite, puis bien plus rarement après le décès de mes grands parents pendant la longue période où ni lui, ni nous ne venions souvent dans la région. Il est parvenu, non sans mal, à la joindre au téléphone mais elle n’a pas voulu que nous passions la voir, se disant trop vieille, trop fatiguée. Elle reste toute la journée enfermée dans sa grande maison de la banlieue castraise, son fils passe la voir chaque jour, lui porte les courses, va déjeuner chez elle le dimanche, la sort parfois presque de force. Mon père n’a trop rien dit mais je l’ai senti affecté tout de même de cette rebuffade. Peut-être aurions nous dû forcer un peu la porte, peut-être que la visite aurait fait plaisir en définitive à la vieille cousine mais elle semblait si péremptoire que l’on n’a pas osé.

Un jour aussi nous avons fait la tournée des cimetières et, de cette journée là, mon père s’est dit très heureux et nous aussi finalement, qui d’abord avions craint un peu le côté pèlerinage de l’affaire. Nous nous sommes rendus dans la petite ville du Tarn, à une soixantaine de kilomètres de chez nous, dont était originaire sa mère et où ses deux parents sont enterrés. Enfant il passait une partie de son été chez ses grands-parents maternels dans une maison sur la place centrale donnant sur des couverts, comme celle que nous habitons désormais (cela a dû compter pour ma grand-mère de retrouver une maison qui lui rappelait sa propre enfance). La maison n’a plus l’air habitée et paraît très dégradée mais mon père nous a raconté toutes sortes de souvenirs qu’elle lui évoquait. Nous avons refleuri la tombe familiale, cela lui a fait plaisir. Ensuite nous avons emprunté la petite route à travers les collines qu’il prenait lui-même en vélo lorsqu’il était adolescent pour rejoindre l’autre lieu familial, celui de ses grands parents paternels. La maison ici appartient toujours à ma cousine de Castres et à ses enfants mais elle n’y vit pas et n’y vient plus. Cette maison ci, je l’ai connu vivante, j’y venais avec mes parents et grands-parents dans les années 50 et 60, à chaque vacance nous passions une fois pour voir mes grands-tantes et mon arrière-grand-père, nous ne restions pas, nous faisions l’aller et retour entre Toulouse et ici dans la journée, je jouais avec des cousins et cousines de mon âge, tous plus ou moins perdus de vue depuis. Puis je n’y suis plus revenu, après la mort de mes grands-parents, sauf une seule fois au tout début des années 2000 ou, passant dans la région, j’avais fait avec D. une brève visite à ma grand-tante alors nonagénaire déjà avancée. Passant lentement dans le village nous avons vu que la maison paraissait ouverte. Mon père nous a fait nous arrêter et nous sommes allés frapper à la porte. Une vieille dame nous a ouvert. C’était M., l’ancienne domestique de ma grand-tante, qui entretient la maison et qui en fait y habite. Elle a reconnu mon père, ils étaient heureux de se voir, ils ont échangé des souvenirs. Nous avons fait le tour du rez-de-chaussée. L’espace, les pièces me paraissaient plus petites mais sinon tout me semblait strictement pareil à mon souvenir, comme figé dans le passé, rien, absolument rien dans la décoration n’a été changé depuis le décès de ma grand-tante il y a plus de dix ans, que ce soit le mobilier ou les photos au mur. Rien notamment qui soit personnel à M. qui pourtant est la seule occupante, sauf sa chambre sans doute mais, bien sûr, nous n’avons pas été la voir. Cela fait frémir l’idée de cette personne qui est là en permanence, qui ne s’autorise rien, sinon éliminer les poussières, comme un objet parmi les objets. Et cette espèce de suspens du temps, comme de la mort au sein de la vie ! Le cabinet de consultation de mon grand-oncle, qui était le médecin du village, en particulier est resté absolument identique à ce qu’il était au moment de son décès, la disposition du bureau et des sièges, la table d’examen et les instruments, le calendrier de l’année, les livres dans la bibliothèque et les revues médicales. Il est tout de même décédé en 1967 ! Quelques semaines avant le centenaire de mon arrière grand-père qui en a été tout marri, le pauvre homme, le décès de son gendre le privant des festivités prévues. Après cette visite imprévue nous nous sommes rendus au cimetière, avons été faire un bref salut à l’autre caveau familial puis avons repris la route. 

La campagne était toute chargée de printemps, entre soleil et nuages. Belle lumière du soir sur le mouvement harmonieux des collines, variété des verts, des plus tendres aux plus soutenus selon les essences des arbres, premières explosions florales d’un printemps jusque là très bridé par la persistance du froid et de l’humidité… Dans la voiture, les souvenirs et les récits de mon père, ce que lui rappelle telle maison aperçue au loin, tel village traversé… Tout cela se mêle, les évocations des morts et du passé et ce vivant que nous sentons en nous, que magnifie la poussée du vivant au-dehors. Oui il y avait beaucoup de vie dans ces moments, j’ai perçu que c’était aussi ce que ressentait mon père et cela me faisait infiniment plaisir et marquait cette journée d’une pierre blanche, pour moi aussi et dans le souvenir que j’en garderai…

2 commentaires:

  1. Tu racontes bien... :)

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  2. Ma grand-mère, qui est très âgée, garde un attachement très fort à l'existence et un intérêt mêlé d'un plaisir évident pour ses proches, et la politique, les films etc Cela serre le coeur de la voir si frêle et courbée, mais ce rayonnement qui l'habite encore est rassérénant. Pourtant l'autre jour, tout a paru s'éteindre autour d'elle quand elle a murmuré au détour d'une phrase que tous ses anciens amis étaient morts, maintenant..

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